Mémoires familiales

Re: Mémoires familiales

Messagede Fille du Vent le 19 Juin 2008, 11:36

L'ancêtre dont je témoigne était sujet britannique, engagé dans la Légion étrangère . Il est mort « tué à l'ennemi » comme le disent les papiers officiel, à 28 ans, le 28 septembre 1915, dans le secteur de Souain.
Mon grand-père était étranger; rien ne l'obligeait à aller combattre. Il était persuadé que c'était son devoir. Tout ce qu'il entendait à ce moment là lui en faisait une obligation morale.
La mort de ce grand-père a laissé des traces cruelles dans ma famille : une veuve sans métier, devant élever seule ses trois enfants.
La pension de veuve de guerre, assortie d'un emploi comme gardienne d'enfants dans une école maternelle, avec un minuscule salaire, mais un logement de fonction, ont juste permis de survivre. Ma mère et sa soeur n'ont pas souvent mangé de la viande. Ma mère a travaillé à 12 ans, aussitôt le Certificat d'études obtenu.
Pour ma mère, ce qu'elle a transmis à ses enfants, c'est la douleur très vive qu'elle a éprouvée de ne pas avoir connu son père : il était parti juste après sa naissance... Elle et sa soeur (le frère aîné est mort un an après le père) se sont posé toute leur vie la question de savoir pourquoi ni leur mère, ni elles, n'avaient pu retenir leur père. Pourquoi était-il parti à la guerre ?
Oui, pour quoi est-il mort ?
Fille du Vent
 

les jeunes

Messagede Minos le 19 Juin 2008, 17:16

Mon père était tunisien; il avait 16 ans en 1914. Lorsque tous ses copains se sont engagés avec enthousiasme dans les Tirailleurs "pour aller défendre la France", il s'est sauvé de chez lui pour aller s'engager avec eux, en déclarant qu'il avait 18 ans, car il était costaud. Mais son frère aîné l'a cherché et récupéré de justesse avant qu'il monte sur le bateau qui partait de Tunis pour emmener tous les engagés en France.

Image
Les drapeaux de l'armée coloniale sous l'Arc de l'Etoile, lors du défilé de la Victoire, le 14 juillet 1919. Cliquez pour agrandir l'image.
L'Illustration, numéro du 19-26 juillet 1919
Minos
 

Re: Mémoires familiales

Messagede Un de l'Yonne le 16 Juil 2008, 22:27

Mon oncle a travaillé à la ferme jusqu'à ce qu'il ait l'âge pour être mobilisé en 1917 (il était de 1898). A 19 ans, il a été versé, après ses classes, dans l'artillerie au front.
Quand il est parti, ses parents se sont demandé pour combien de temps : cela faisait un moment que ça devait se terminer, et puis ça ne se terminait pas....
Quand il est revenu, il était très sourd : quand ça pétait, il n'avait pas toujours le temps de se protéger les oreilles. Quand les allemands arrivaient à repérer une batterie, ils essayaient de la détruire en tirant dessus. L'oncle est devenu sourd, non pas des obus tirés, mais des obus reçus.
Il est revenu avec des douilles sculptées : il y avait un petit commerce fait par les gens qui étaient dans les tranchées ou pas trop loin des tranchées ; ils faisaient du bricolage, puis ils les vendaient aux copains qui partaient en permission. Quand les gens étaient blessés ou en permission, ils partaient à l'arrière, pas forcément loin. Ils s'occupaient en sculptant les douilles, pour tromper l'ennui.

A la même époque, un cousin de 23 ans, d'un village voisin du nôtre, s'est fait tuer le 9 juin 1918, dans le parc du château de Plessier de Roye, à 600 m au Sud/Sud-Ouest du château vers 6 heures du matin. J'ai trouvé ces éléments sur le site : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/ Il suffit de donner le nom et le prénom et on a la fiche.
Un de l'Yonne
 

Re: Mémoires familiales

Messagede Myja le 03 Sep 2008, 22:54

Interview dans maison de retraite en août 2008.

Avant la guerre de 14, mon père, né en 1871, avait créé avec son frère une usine électrique en Normandie, à Briouse (Orne). Pour l'époque, c'était exceptionnel. Mon père était le super technicien et son frère était l'administrateur.
Ils avaient des clients, entre autre une abbaye de religieuses, qui avaient ainsi de quoi faire fonctionner une scie électrique ou autre chose.

Mon père a été mobilisé pour la guerre et n'a plus pu s'occuper de son usine. Même chose pour son frère, moins gradé mais mobilisé également. L'affaire a périclité...
Mon père est parti; comme il était ingénieur, ancien élève de l'Ecole supérieure d'électricité (créée en 1894), il avait automatiquement un grade. Il est parti au front, avec une équipe, il s'est occupé des projecteurs pour les tranchées, les batteries ....
Il avait emmené son violoncelle, qui a fait les tranchées de Verdun.
Il avait aussi emmené des bouquins, et pour les autres, il leur apprenait un tas de choses, dans le domaine électrique; ils pouvaient ainsi aller porter l'électricité plus loin.
Lorsqu'il a eu une certaine nomination, on lui a alloué un cheval ! .... C'était une jument qui l'a suivi pendant toute la guerre. Mais elle eu horriblement peur des bombardements, elle ne pouvait pas supporter. Plus tard, vers la fin de la guerre, quand tout le monde s'était équipé de façon plus moderne, un jour elle est devenue folle; il y avait un mur et la bête est partie à toute allure pour se suicider contre ce mur. Papa en a eu beaucoup de chagrin, car il l'aimait beaucoup. Elle s'appelait Marguerite je crois; ça lui faisait une compagnie.

Là où c'est c'est devenu grave et qui m'a toujours fait quelque chose quand j'étais toute petite et que papa me racontait ça, il avait dans son équipe des jeunes gens qui étaient morts. Et il disait, "ce qui m'a fait le plus de mal, ce ne sont pas ces jeunes qui étaient morts, mais ceux qui étaient encore un peu vivants, et qui appelaient leur mère."
Et ça m'a... ! Je ne comprenais pas; il me disait, "on a beau être un homme, on est quand même très peu de chose."

Papa avait son frère qui avait deux enfants lorsqu'il a été mobilisé. Quand il est revenu en permission, il a vu de la paille qui sortait de la porte : sa femme était partie quand il était au front, elle avait pris tous les meubles et laissé les enfants dans la rue ! Je traitais les enfants de poulbots pour les taquiner.
Le vrai papa est reparti au front, mais mon papa s'est occupé des enfants pendant une permission.
Sans lui, les gamins auraient mal tourné.
Quand le frère est revenu de la guerre, il a juré qu'il n'y aurait plus jamais une seule femme dans sa vie.
Papa ne me parlait pas facilement de la guerre. Il fallait une occasion. Je n'osais pas trop souvent lui poser de question, parce que je me rendais compte que ça le remuait.
Il n'a pas été blessé, il a eu cette chance. Mais il a vu beaucoup de choses.
Il a été nommé chevalier de la Légion d'Honneur sur le tas, à titre militaire. Il avait une rente de son vivant.

Question : avait-il changé, en revenant ?
Je suis née en 24, je n'ai pas vu revenir mon père. Il s'était marié un peu avant la guerre, je crois.
Quand il est revenu, il n'a pas voulu reprendre la société qu'il avait avant la guerre. Il a dit : "j'en ai trop vu, je suis fatigué moralement, je n'ai plus le ressort. Je peux m'occuper, mais pas remonter une usine". Alors il y avait une société, à Paris; le patron appréciait beaucoup papa et lui a proposé de créer une structure dans le sud-ouest, sur le plan commercial. Ce qu'il a fait. Si bien que je suis née à Bordeaux.
Il a réussi à s'en sortir.
Il avait une vie toute différente, lui qui était à 100% normand, dans une région qu'il ne connaissait pas.

Question : Papa croyant ? Oui, mes grands-parents étaient croyants. Mon père allait faire de la musique avec des prêtres, ils avaient des instruments chez eux.

Question : Que disait son père de la guerre en général ?
Il disait que "dans toutes les guerres, aucune solution militaire n'est durable, alors que bien souvent, en quelques heures, le côté verbiage (parole ?) réussit, alors qu'il faut des années sur le plan militaire. Tant qu'il y aura deux hommes sur la terre, il y en aura toujours un qui voudra bouffer l'autre". Il avait une grande philosophie et une très grande sagesse.
Il pensait qu'on aurait mieux fait de se parler, au lieu de se taper dessus.
Et quand il a vu arriver la guerre de 40, il le disait : il a été mobilisé, comme chef de la défense passive, dans la territoriale. Il était à la maison, il allait garder les ponts.

Il a donné à la vie militaire et civile. Il a essayé de faire comprendre aux jeunes qu'il fallait toujours regarder le drapeau.
Lors d'un défilé militaire; il y a un qui a laché le fusil, et qui a mis le képi à l'envers. Il a eu droit à une paire de claques de mon père.
Moi qui ai été élevée dans ce milieu, ça explique que j'aie été patriote et que j'aie continué à m'en occuper sagement.
Je me suis engagée sur l'appel du Général de Gaulle, mais on en parlera une autre fois !
Myja
 

Re: Mémoires familiales

Messagede Un de l'Yonne le 20 Oct 2008, 23:23

Les hommes venus de la campagne ont fait des découvertes, après leur mobilisation :
Ils ont découvert des personnes de races différentes; ils n'avaient jusque là aucune idée de leur apparence ni de leur caractère. Beaucoup ont écrit à leur famille en décrivant les noirs comme des gens très courageux.

Autre trouvaille, plus banale : ils ont découvert le chocolat, dont ils connaissaient l'existence, mais là, il faisait souvent partie de la ration, ils pouvaient enfin y goutter.
Un de l'Yonne
 


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