Re: Histoires d'amour...

Re: Histoires d'amour...

Messagede Un du village le 17 Juil 2008, 11:11

Recueilli témoignage oral en juillet 2008.
En 1918, un monsieur de Cergy était artilleur, dans l'Oise (limite de la Somme) entre Montdidier et Royes, pas loin de Péronne; le front de guerre était là-haut. C'était la dernière bataille de 1918. Les allemands ont fait une poussée sur Montdidier pour essayer de récupérer la ligne de chemins de fer qui menait de Paris à la côte, mais ils n'y sont pas parvenus. Cet artilleur était cantonné dans un petit village qui s'appelle Boulogne-la-Grasse.
Image Le coiffeur.
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Collection privée, droits réservés.

Il y avait là une dame qui tenait un café, fréquenté par les soldats. L'artilleur, bon vivant et serviable, donnait un coup de main à la dame, pour servir les coups de rouge et mettre le vin en bouteille. La dame avait un petit garçon de 9 ans, puisque né en 1909. La guerre se rapprochait, en février 18, on commençait à parler d'évacuation; les autorités militaires pensaient que le front allait craquer sur Beuvraignes, sur Tilloloy, etc.donc on préparait la population à s'écarter et à fuir le village.
C'est ce qui s'est passé à partir d'avril 18 : ordre d'évacution. L'artilleur dit à la dame du café: "écoutez madame, si vous êtes ennuyée, allez-donc chez ma femme, à Cergy, et vous serez accueillie".
Un matin, la canonnade a commencé et la dame s'est enfuie sur la route en tenant son petit garçon par la main; quelques économies dans son petit sac et elle a tout laissé dans sa maison.
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Ils avaient fait à peine 300m qu'un énorme obus est arrivé sur la maison et l'a fait exploser.: plus rien, le café a été ruiné complètement, ainsi que l'église, le village, en particulier le château (voir photos)...c'était la guerre.
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Ils se sont sauvés; ils ont commencé par faire un tour dans la Manche, car cette dame avait un frère qui travaillait aux chemins de fer, qui avait eu un wagon spécial pour transport. La dame est partie à Coutances, dans sa famille, mais ça s'est mal passé. Ne sachant plus que faire, au mois de septembre, elle a décidé de venir à Cergy avec son petit garçon.
Elle a rencontré la femme de l'artilleur, qui lui a trouvé une maison pour se loger. Ensuite, elle a dû se débrouiller.
La femme de l'artilleur avait une petite fille, qui avait le même âge que le petit garçon de la dame de Boulogne-la-Grasse. Les enfants sont allés à l'école ensemble, le petit Raymond et la petite Solange.
La guerre se termine, 1920. La reconstruction dans l'Oise. Les hommes rentrent chez eux, l'artilleur rentre à Cergy. Le mari de la dame de Boulogne, qui était prisonnier de guerre à Wissenbourg rentre aussi, en mauvais état, mais bon, un petit d'hospitalisation, un peu de soins et on se met en route.
Donc en 1920, la famille de la dame rentre à Boulogne-la-Grasse, et la famille de l'artilleur reprend ses activités à Cergy. Mais les deux familles continuent à se rencontrer, à correspondre; les enfants ont grandi, à 17 ans, ils s'écrivaient; et puis en 1931 ils se sont mariés, et c'était mes parents ! Ils sont venus vivre à Cergy, rue du Bruloir, dans la maison que la famille a conservée.
Après la guerre, les couples se sont retrouvés, mais ça n'a plus jamais fonctionné.
Pour beaucoup de couples dont j'ai entendu parler, ils se sont toujours insultés, méprisés, parce que les hommes étaient à la guerre, mais les femmes ont fait tout le boulot; elles se sont mises au travail comme des bêtes; dans les champs, elles conduisaient les chevaux, elles faisaient tout, aidées par les vieux hommes qui n'avaient pas été mobilisés, mais qui n'avaient plus trop de forces, ça s'est débrouillé comme ça.
Pour ceux qui ont été dans les tranchées, ça a été la grande douleur, ça a été épouvantable. Mais pour ceux qui comme le grand-père tirailleur, montaient les obus au front, le soir, avec un attelage de chevaux et redescendaient, pour lui qui était en cantonnement, aux yeux de sa femme, il n'a pas été à la guerre, il ne s'est pas battu.
Et puis, le mari de la dame de Boulogne a été prisonnier tout de suite, en 1915: il était auxiliaire, il a été mobilisé après; il s'est trouvé prisonnier, il n'a pas fait la guerre; il s'est trouvé prisonnier à Wissenbourg, dans un camp, ils n'ont pas été considérés comme des héros, ces gens là. Pour les femmes, elles disaient : "tu ne t'embêtais pas dans ton camp, là-bas". Il a eu la langue trop longue, de raconter des aventures qu'il avait eues en Allemagne; ça lui a été reproché toute sa vie.
Les hommes qui sont rentrés, au hasard des tablées un peu arrosées, il s'en sont un petit peu vantés, ça a mis la zizanie dans les couples; les femmes ont vu tout ce qu'elles avaient trimé pour faire fonctionner les fermes, nourrir les enfants, etc. elles ont eu l'impression que ce n'était pas juste.
Surtout si l'homme en rentrant, avait voulu reprendre les rênes du pouvoir...
Cela n'a jamais plus marché. Ces couples étaient fichus.
Un du village
 

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