Á
l’École, en 1900
Article paru dans NVA n° 274, mai-juin 2004 : www.nonviolence-actualite.org .
Publié avec l'aimable autorisation de la revue et de l'auteur.
Août
1914 : en France, plus de huit millions d’hommes sont
mobilisés et partent, la fleur au fusil, « pour une
guerre courte, fraîche et joyeuse », au milieu
des manifestations de joie de toute une population.
Pour
beaucoup, ces démonstrations et cet enthousiasme sont sans
doute une façade pour cacher son émotion, mais cette
guerre avait été longuement préparée, du
moins dans les esprits.
Gratuite,
obligatoire et laïque depuis les lois de 1881-1882 de Jules
Ferry, l’école a été marquée, en
profondeur, par la défaite de 1870 et le contenu de
l’enseignement intensément imprégné de
patriotisme et de l’espoir de la revanche : la carte de France
affichée dans chaque salle de classe, avec une Alsace-Lorraine
en violet noir, couleur du deuil, entretient le souvenir des
provinces perdues. Un livre de lecture « Tu
seras soldat »
décrit les armes en usage dans l’armée française
et fait naître la haine de l’Allemand en racontant les
souvenirs des prisonniers de guerre. Mais ce sont surtout les chants,
les récitations, les devoirs de rédaction et
l’enseignement de l’histoire qui entretiennent un véritable
chauvinisme. M. BOUCHOLA fait chanter au soldat loin de son pays :
«J’aimerais
bien revoir la France
Mais
bravement mourir est beau »
Cl.
MUGE (Chants de
l’enfance, Larousse éditeur)
n’est pas moins ardent :
« Le
régiment plie en détresse
Mais
le clairon sonne « au drapeau »
Blessés,
mourants, tout se redresse,
Nouveau
combat, succès nouveau »
Rédactions
et chants exaltent le drapeau, le clairon, le tambour. Le père
dit à son enfant :
« Quand
le tambour battra demain
Que
ton âme soit aguerrie,
Car
j’irai t’offrir, de ma main,
Á
notre mère la Patrie » de
Laprade
Dans
« les chants de l’enfance »,
encore, voici le
« Salut
au drapeau » (1er
couplet)
« Les
soldats passent dans la plaine
L’air
martial et le cœur haut
Et
qui leur donne longue haleine
Guérit
leurs maux, calme leurs peines ?
C’est
le drapeau, c’est le drapeau »
Dans
« Pierre et
Suzette »
de Félix THOMAS (Paris 1897), Louis DESCHAMPS, un ancien
soldat de l’empire proclame : « Le drapeau, c’est
quasiment le portrait de notre mère, malheur à celui
qui y touche ! Honte à celui qui ne le respecte pas et ne
le fait pas respecter ! »
Dans
« Pierre et
Minet, 1300 sujets de rédaction »,
on peut relever : « Le service militaire depuis un
siècle », « Le drapeau tricolore »,
« Ce que vous ferez quand vous serez soldat »,
« Enfant gâté, mauvais soldat »…
et, à peine croyable, on propose aux enfants de rédiger
« La lettre à sa famille écrite par un
soldat qui vient d’être condamné à mort pour
indiscipline »
L’enseignement
historique est, lui aussi, fortement orienté avec l’exaltation
de la France et du patriotisme, la primauté est donnée
au récit historique des batailles, à l’histoire des
grands hommes et on constate l’absence presque complète des
notions concernant l’évolution de la civilisation. Dans la
deuxième année d’ Histoire
de France de LAVISSE
1886, on peut lire « Nous avons été vaincus
parce que beaucoup de Français aimaient trop la douceur de la
paix, la tranquillité qu’elle donne et les richesses qu’elle
procure… » « Les Allemands haïssent la
France et se préparent à la guerre contre nous ;
nos désastres nous apprennent qu’il ne faut pas aimer ceux
qui nous haïssent mais, avant tout, la France, notre Patrie. »
« Le
tour de France par deux enfants »
est le best seller de la littérature scolaire de la belle
époque. Il raconte le voyage de deux petits Lorrains, André
et Julien, qui voulant opter pour notre pays, partirent à la
recherche de leur oncle. La France y est décrite prospère
et travailleuse. L’atmosphère générale du
récit révèle le désir de revanche. Quand,
à la fin du récit, les enfants et leur oncle viennent
en Eure et Loir s’installer dans une ferme détruite par la
guerre et qu’ils reconstruiront, le petit Julien s’écrie :
« J’aime la France de tout mon cœur, je voudrais
qu’elle fut la première nation du monde. »
Quant
aux problèmes d’époque, ils contribuent, eux aussi, à
cette préparation. Voici un exemple pris dans la 2ème
année d’arithmétique de LEYSENNE, inspecteur général
pour les candidats au CEPE 1890 : « Combien de
vieillards recevraient une rente annuelle de 500 Francs avec les
intérêts des 5 milliards donnés à la
Prusse, placés à 3% ? » et « Un
militaire devait être 18 jours en route marchant 10h par jour,
mais il est parti avec 3 jours de retard. Combien a-t-il dû
marcher d’heures par jour pour faire sa route dans le temps voulu »
Le
rôle de la fille est assigné par Ed CHARTON dans
« Conseils à
une fillette » :
« enfant, commence dans ta famille ta mission de femme,
retiens tes frères autour de toi, paisibles et doux, ces
batailleurs éternels. Ta faiblesse les apprivoise
aujourd’hui…sois la lumière qui leur montre le devoir ».
Cette
guerre qui devait être courte (un retour prévu pour les
vendanges) dura quatre ans ; le coût humain en fut
monstrueux : 1,3 millions de tués côté
français, 3 millions de blessés, 680000 veuves et
760000 orphelins. De part et d’autre, le nationalisme, agressif et
vengeur, ne fit que s’amplifier. L’Allemagne, jugée
coupable lors des traités de paix, accusée et placée
au ban de l’humanité, fut contrainte de signer le traité
de Versailles qu’elle qualifia de « diktat ».
Ce mauvais traité entretint la haine entre les peuples et
porte sa part de responsabilité dans la montée au
pouvoir de Hitler et la marche vers la seconde guerre mondiale.
« Les
guerres prennent naissance dans l’esprit humain, c’est dans
l’esprit des hommes que doivent être élevées
les défenses de la Paix »
Préambule
de la chartre de l’UNESCO 1946.
Brigitte
LIATARD
Cofondatrice
de Génération Médiateurs
D’après
« Textes et
documents pour la classe n°85 »,
6 janvier 1972
|