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Cérémonie du 11 novembre 2009, discours du Maire |
A cette occasion, Dominique Lefebvre, maire de Cergy et président de l'agglomération de Cergy-Pontoise, a tenu son discours commémoratif en présence des associations d'anciens combattants. Retrouvez ici l'intégralité du discours de Dominique Lefebvre :
"Il
y a 91 ans, à 11 heures du matin exactement, la Première Guerre
Mondiale prenait fin.
La
Première Guerre Mondiale : quelle ironie macabre de l’histoire que
ce soit le nom finalement resté à celle qui devait être « la der
des ders ».
L’ampleur
du massacre (1 million et demi de morts en France, 9 millions en
Europe, 6 millions de mutilés), dont on pensait qu’elle devait
empêcher qu’on recommence, a dans une très large part été la
cause de la Deuxième Guerre Mondiale. La dureté des conditions
faites à l’Allemagne par le traité de Versailles en 1919,
l’exacerbation des passions nationalistes pendant quatre années de
guerre, l’incapacité à construire la Société des Nations, ont
entretenu le cycle meurtrier.
Ajoutons
la brutalité inouïe à laquelle beaucoup se sont trouvés exposés.
Une violence inédite a fait irruption au cœur des sociétés
européennes. Elles ont mis un siècle à s’en remettre.
Par
bien des aspects, en effet, la Première Guerre Mondiale marque le
véritable début du XXe siècle et son ombre projetée s’étend
jusqu’aux années 1990, avec la disparition de l’Union soviétique
issue de 1917 et les conflits en ex-Yougoslavie autour des frontières
héritées de 1919.
Alors
que les derniers combattants de cette guerre ont aujourd’hui
disparu, nous devons absolument garder la mémoire d’un événement
qui a eu des conséquences aussi graves et de si long terme.
Nous
devons nous souvenir que cette guerre, provoquée sur un prétexte
mince – l’assassinat à Sarajevo d’un archiduc autrichien par
un nationaliste serbe –, était attendue, souhaitée presque par
tous. A telle enseigne qu’on avait déjà cru la voir arriver à
plusieurs reprises dans la décennie précédente.
La
voix du pacifisme, portée en France par Jean Jaurès seul ou
presque, n’a pas réussi à se faire entendre. Pourtant, dès
l’attentat de Sarajevo, le député du Tarn a mis toute son
énergie, tout son courage et tout son talent dans un effort pour
rallier les élus et le peuple à la cause de la paix. Ce qui lui
valut d’être assassiné quelques jours plus tard, le 31 juillet
1914.
Et
tout cet élan guerrier pour des raisons qui nous échappent
aujourd’hui largement !
Certes
la France et l’Allemagne se disputaient l’Alsace-Lorraine. Mais
la France et l’Allemagne n’étaient pas les seules concernées.
La
guerre a embrasé toute l’Europe, et au-delà a touché le monde
entier : les empires coloniaux ont été mis à contribution, les
Etats-Unis se sont impliqués, Français, Anglais et Allemands ont
combattu jusque dans le Pacifique, où les navires des uns et les
sous-marins des autres se livraient une guerre du bout du monde.
La
Grande Guerre, qui est associée dans notre mémoire collective à la
glaise des champs de la Marne, à la boue des tranchées de Verdun, a
été exportée sur toute la surface du globe. Mais l’inverse est
également vrai : des hommes venus de tous les continents sont venus
sur notre sol, combattre et mourir pour la France.
Le
paysan berrichon, l’ouvrier flamand, le berger basque, le fermier
normand se sont retrouvés sous le même uniforme que l’éleveur
peul, le commerçant vietnamien, le cultivateur berbère et le
pêcheur antillais.
Tous
ont combattu côte à côte, sur ces champs de bataille du Nord et de
l’Est qui aujourd’hui encore gardent la cicatrice de quatre
années d’obus, de mortiers et de bombes.
Tous
ont partagé la saleté, le froid, la faim. La peur, surtout. La peur
qui ne disparaît jamais tout à fait, la peur à laquelle on
s’habitue plus qu’on ne l’oublie.
Tous
ont risqué leur vie, beaucoup l’ont perdue. De nombreux autres
sont restés mutilés, aveugles, défigurés. La « gueule cassée »,
comme on disait.
Ceux
qui sont venus de loin, qu’on confondait sous l’appellation
générique de « tirailleurs sénégalais », n’ont pas versé un
tribut moins lourd que les Français de métropole. A Cergy même,
beaucoup de jeunes issus de l’immigration ont un ancêtre qui a
défendu la France avec courage. Même si leurs noms ne figurent pas sur les monuments aux morts de nos villes et nos villages, nous leur devons le même hommage, celui qu’on doit à ceux qui ont fait le sacrifice ultime.
A
ce propos, moi qui ai la chance d’appartenir à une génération
qui n’a pas connu la guerre, qui n’a pas eu à combattre, je veux
vous faire partager une réflexion qui m’est venue à force de
conversations avec d’anciens soldats.
C’est
que, au combat, il y a plus terrible encore que de risquer sa vie.
C’est d’être obligé de tuer.
En
14-18, par millions, des gens qui étaient civils quelques semaines
auparavant se sont retrouvés dans la situation de devoir donner la
mort. Les témoignages des poilus parlent très peu de cet aspect des
choses, parce que la violence qu’on inflige nous blesse en retour
au plus intime de nous-mêmes.
Mais
nous ne devons pas oublier cette dimension de leur sacrifice :
Français de métropole ou d’outremer, ils ne sont pas seulement
morts pour la patrie. Ils ont tué pour elle. Alors, aujourd’hui, c’est bien le moins que nous puissions faire que de continuer à perpétuer leur mémoire.
Cette
commémoration ne peut pas, ne doit pas être uniquement tournée
vers le passé. Le souvenir de l’armistice de 1918 doit d’abord
servir à délivrer un message de paix, pour nous et pour les
générations futures.
Les
poilus espéraient de toutes leurs forces que les atrocités qu’ils
avaient vécues seraient les dernières, que l’Europe allait enfin
devenir une terre de paix.
Il
a fallu attendre qu’une autre guerre mondiale soit passée pour
qu’il se trouve des femmes et des hommes pour porter la volonté
politique de construire l’Europe, afin de rendre impossible le
retour des guerres qui l’ont si profondément meurtrie.
Fondée
au départ sur le couple franco-allemand, l’Union européenne
compte aujourd’hui 27 pays, dont presque tous ont une histoire
d’affrontements farouches avec leurs voisins. Ils ont su abandonner
leurs haines pour se rassembler.
Rien
n’est acquis définitivement et nous devons rester très vigilants,
mais c’est la preuve, malgré tout, qu’un progrès est possible. Dans une époque où on cède souvent à la morosité, à nous de savoir nous inspirer des épreuves du passé pour continuer, ici à Cergy, en France et dans le Monde, à porter cet espoir d’un progrès humain." |
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