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Un du village.
Cergy en 1914 n’était pas un village très riche : pas d’assainissement, l’adduction d’eau s’est faite en 1920; en 1924, c’était l’arrivée de l’électricité. Chez mes parents, on a eu l’électricité en 1942, si je me souviens bien, pendant l’occupation.
C’était sale, on se chauffait au charbon, il y avait donc beaucoup de fumées, d’odeurs de souffre, ça puait dans le village, ce n’était pas beau, les façades étaient noires. Les eaux coulaient dans le caniveau : eaux de pluie, eaux usées…. Les maisons n’étaient pas très confortables. On ne connaissait pas les salles de bains, ni l’eau chaude; on était élevés comme ça. Comme beaucoup en France à l’époque, mais il faut resituer le contexte.
L’eau courante n’est arrivée qu’en 1920 : avant, on pompait dans l’Oise. On buvait l’eau des sources: la Roussette, qui coulait en bas. Jusqu’à ce que ça soit interdit (après des analyses demandées par M. Renaud, maire de Cergy à partir de 1953).Il fut alors interdit de boire l’eau des sources.
(A partir de là fut créé un Syndicat intercommunal entre communes voisines et on a fait des captages pour l’eau potable. Dans les années 1957-58, on a eu l’eau potable au robinet.)
Il y a eu un gros progrès, un vrai démarrage, avec la construction de la mairie-école en 1911. Grâce à Jules Ferry, le pays a connu une explosion de la connaissance, une ouverture vers le savoir.
L’école a continué à fonctionner en 14. Des instituteurs ont été laissés en place, ils n’ont pas tous été mobilisés. Au village, il y avait Arnaud Cuisiner, avec sa femme
Il y avait 2 classes de filles et 2 classes de garçons, les grands et les petits.
Le stade Jean Roger Gault, du nom du mécène de Cergy qui l’a entièrement financé, date seulement de 1925.
Sur 1100 habitants, et sur environ 50 mobilisés, 37 morts: c’est énorme:
Il n’y avait plus de mari, plus de fils.
En 1918, un monsieur de Cergy était artilleur, dans l’Oise (limite de la Somme) entre Montdidier et Royes, pas loin de Péronne; le front de guerre était là-haut. C’était la dernière bataille de 1918. Les allemands ont fait une poussée sur Montdidier pour essayer de récupérer la ligne de chemins de fer qui menait de Paris à la côte, mais ils n’y sont pas parvenus. Cet artilleur était cantonné dans un petit village qui s’appelle Boulogne-la-Grasse. Il y avait là une dame qui tenait un café, fréquenté par les soldats. L’artilleur, bon vivant et serviable, donnait un coup de main à la dame, pour servir les coups de rouge et mettre le vin en bouteille. La dame avait un petit garçon de 9 ans, puisque né en 1909. La guerre se rapprochait, en février 18, on commençait à parler d’évacuation; les autorités militaires pensaient que le front allait craquer sur Beuvraignes, sur Tilloloy, etc.donc on préparait la population à s’écarter et à fuir le village.
C’est ce qui s’est passé à partir d’avril 18 : ordre d’évacution. L’artilleur dit à la dame du café: "écoutez madame, si vous êtes ennuyée, allez-donc chez ma femme, à Cergy, et vous serez accueillie".
Un matin, la canonnade a commencé et la dame s’est enfuie sur la route en tenant son petit garçon par la main; quelques économies dans son petit sac et elle a tout laissé dans sa maison.
Ils avaient fait à peine 300m qu’un énorme obus est arrivé sur la maison et l’a fait exploser.: plus rien, le café a été ruiné complètement, ainsi que l’église, le village, en particulier le château (voir photos)…c’était la guerre.
Ils se sont sauvés; ils ont commencé par faire un tour dans la Manche, car cette dame avait un frère qui travaillait aux chemins de fer, qui avait eu un wagon spécial pour transport. La dame est partie à Coutances, dans sa famille, mais ça s’est mal passé. Ne sachant plus que faire, au mois de septembre, elle a décidé de venir à Cergy avec son petit garçon.
Elle a rencontré la femme de l’artilleur, qui lui a trouvé une maison pour se loger. Ensuite, elle a dû se débrouiller.
La femme de l’artilleur avait une petite fille, qui avait le même âge que le petit garçon de la dame de Boulogne-la-Grasse. Les enfants sont allés à l’école ensemble, le petit Raymond et la petite Solange.
La guerre se termine, 1920. La reconstruction dans l’Oise. Les hommes rentrent chez eux, l’artilleur rentre à Cergy. Le mari de la dame de Boulogne, qui était prisonnier de guerre à Wissenbourg rentre aussi, en mauvais état, mais bon, un petit d’hospitalisation, un peu de soins et on se met en route.
Donc en 1920, la famille de la dame rentre à Boulogne-la-Grasse, et la famille de l’artilleur reprend ses activités à Cergy. Mais les deux familles continuent à se rencontrer, à correspondre; les enfants ont grandi, à 17 ans, ils s’écrivaient; et puis en 1931 ils se sont mariés, et c’était mes parents ! Ils sont venus vivre à Cergy, rue du Bruloir, dans la maison que la famille a conservée.
Après la guerre, les couples se sont retrouvé, mais ça n’a plus jamais fonctionné.
Ils se sont toujours insultés, méprisés, parce que les hommes étaient à la guerre, mais les femmes ont fait tout le boulot; elles se sont mises au travail comme des bêtes; dans les champs, elles conduisaient les chevaux, elles faisaient tout, aidées par les vieux hommes qui n’avaient pas été mobilisés, mais qui n’avaient plus trop de forces, ça s’est débrouillé comme ça.
Pour ceux qui ont été dans les tranchées, ça a été la grande douleur, ça a été épouvantable; Mais pour ceux qui comme le grand-père tirailleur, montaient les obus au front, le soir, avec un attelage de chevaux et redescendaient, pour lui qui était en cantonnement, aux yeux de sa femme, il n’a pas été à la guerre, il ne s’est pas battu.
Et puis, le mari de la dame de Boulogne a été prisonnier tout de suite, en 1915: il était auxiliaire, il a été mobilisé après; il s’est trouvé prisonnier, il n’a pas fait la guerre; il s’est trouvé prisonnier à Wissenbourg, dans un camp, ils n’ont pas considérés comme des héros, ces gens là. Pour les femmes, elles disaient : "tu ne t’embêtais pas dans ton camp, là-bas". Il a eu la langue trop longue, de raconter des aventures qu’il avait eues en Allemagne; ça lui a été reproché toute sa vie.
Les hommes qui sont rentrés, au hasard des tablées un peu arrosées, il s’en sont un petit peu vantés, ça a mis la zizanie dans les couples; les femmes ont vu tout ce qu’elles avaient fait pour faire fonctionner les fermes, nourrir les enfants, etc. elles ont eu l’impression que ce n’était pas juste.
Surtout si l’homme en rentrant, avait voulu reprendre les rênes du pouvoir…
Cela n’a jamais plus marché. Ces couples étaient fichus.
Pour ceux qui sont revenus : ceux qui ont fait les tranchées, ceux-là étaient fichus, physiquement, moralement.
Au village, il y a eu des gens gazés. Ceux qui se sont battus et qui sont revenus, sont revenus méchants, révoltés, prêts à en découdre à chaque instant, pour une discussion de bistrot, pour un bout de terrain, pour une borne, prêts à sortir le fusil.
Révoltés contre quoi ?
"J’ai fait la guerre, on ne va pas m’en raconter, tu ne vas pas me dire, etc." Ils étaient d’autres hommes. Etre confrontés à des conditions inhumaines pendant 4 ans, ils en étaient transformés, ils étaient devenus un peu des bêtes sauvages.
Par exemple, au moment du remembrement de Cergy, on a remembré la plaine en 1951; d’ailleurs c’était un fouillis de petites parcelles incultivables; il y a eu des bagarres internes, des vieux qui tenaient à leur poirier, sortaient le fusil; étaient prêts à tuer, comme en 14. Si tu touches à mon poirier, je te tues.
J’avais un oncle mauvais, innapprochable; bardé de décorations. Il avait fait Verdun, la bataille de l’Argonne. C’était un héros, il est revenu à moitié fou.
Cela, c’est quand ils étaient acceptés, quand on ne les traitait pas de simulateurs : regardez l’horreur, les mutineries de 1916, il y en a eu 800 qui ont été fusillés. Il n’y en a pas eu du village.