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Réflexions sur "mes" guerres. |
Par Jacques PUYBARET. ------------------------------- J'ai le souvenir direct de deux guerres : 39-45 et l'Algérie et je fais allusion à mon grand père maternel qui a "fait" la guerre de 14; j'en ai eu des échos par ma mère. - Mon père a fait celle de 39 et par chance n'a pas été fait prisonnier. - J'ai participé à la guerre d'Algérie. J'ai huit ans quand la guerre de 39 se déclare. Il paraît admis maintenant que cette guerre est en partie la conséquence du mauvais traité de Versailles, mais ce n'est pas ce qui était enseigné à l'époque.
Tous les souvenirs vécus par Maman pendant la guerre de 14-18 remontent : Paris bombardé par la "Grosse Bertha"*, les privations et le pain noir qu'elle désignait sous le nom de "pain caca" et, pour les poilus l'horreur du front qui a été largement montrée à tous nos contemporains.
GUERRE DE 39-45 J'ai 9 ans, la "débâcle" de mai 40 nous surprend comme une défaite honteuse et surprenante après les affiches de la "drôle de guerre" promettant la victoire "Parce que nous sommes les plus forts", puis après l'invasion de la Norvège par les Allemands :"La route du fer est coupée". Je me souviens très bien de ces affiches placardées dans les villes de France représentant l'ensemble des possessions des empires Français et Britanniques et elles étaient impressionnantes pour un jeune écolier. La déception envers la 3° République n'en fut que plus vive. Etant enfant, je n'avais de connaissance historique que l'enseignement de l'école primaire. Colonies et territoires d'outre-mer étaient des faits acquis. L'Allemagne, c'était les "boches" un ennemi cruel qui nous avait pris une première fois l'Alsace-Lorraine et qui voulait recommencer Cette certitude de la victoire contredite m'est restée en mémoire sous la forme d'une méfiance de l'information et de la manipulation d'opinion. Les responsables de la politique étaient allés dans le sens du pacifisme de l'opinion, mais leurs erreurs allaient révéler leur incompétence ou pusillanimité. La célèbre phrase de Churchill après "Munich" : "On vous a donné le choix entre le déshonneur et la guerre; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre" m'a beaucoup impressionné quand j'en eus connaissance beaucoup plus tard.
Puis ce fut l'occupation allemande. Le martèlement d'une propagande inverse de l'occupant et du gouvernement de Vichy vint remplacer la propagande républicaine. Ceci m'a profondément marqué. Pendant quatre ans d'occupation, nous entendions dire que l'Angleterre était notre ennemi héréditaire.( Cependant on chantait fort heureusement aussi : "Radio Paris ment (bis), radio Paris est Allemand" qui était diffusée par Radio Londres)
De nouveau les horreurs de la guerre : pour les soldats: tuerie et blessures, les camps de prisonniers, pour les civils : les épouses restées seules, les bombardements aveugles des civils, la pénurie, les cartes de ravitaillement, l'absence de chauffage pendant les hivers rigoureux. Réfugié en 43 en zone dite "libre" mais occupée, j'ai vu passer en 44 à Brive sous nos fenêtres la sinistre division "Das Reich" de triste mémoire à Tulle, Oradour et ailleurs. Sur un capot d'un blindé gisait un résistant blessé offert en spectacle répressif et vengeur à la population, ce souvenir me hante encore quelquefois.
Pour ajouter à l'horreur, ce n'est qu'après le 8 mai 45 que nous apprîmes l'existence des camps de concentration. Les images de ces camps au cinéma ou dans les journaux furent un choc, j'avais alors 14 ans. J'avais bien eu quelques camarades de lycée qui avaient porté l'étoile Jaune mais nous ne nous en soucions pas et n'imaginions pas le sort qui leur était destiné. Quelques Chrétiens portaient volontiers une petite croix à la boutonnière et pour nous cela marquait seulement la différence de religion sans aucune autre discrimination. Ces camarades juifs étaient parmi les meilleurs élèves de la classe, à aucun moment il n'y avait de moquerie ni de racisme. Les "histoires juives" circulaient sans plus de différence que les histoires corses, écossaises ou auvergnates.
Mais ce n'était pas fini, la guerre persistait avec le Japon : Il y eut encore Hiroshima et Nagasaki. Avec les mêmes images d'horreur. (Une question surgit alors: si les alliés n'avaient pas gagné la guerre, le président Truman aurait-il été poursuivi par un tribunal international?)
Mais la "guerre froide" allait remplacer bientôt la guerre mais pas partout dans le monde: guerre de Corée, conflit Chinois, Indochine etc.… Un épisode de la guerre de Corée vint me surprendre vers 1952 et m'est resté en mémoire. Des étudiants pacifistes faisaient circuler une pétition contre une arme bactériologique que les Américains auraient employée contre les Coréens du Nord ? Je me souviens avoir refusé ma signature par méfiance de cette assertion qui à ma connaissance n'a d'ailleurs jamais été confirmée. Toujours la propagande et le mensonge de la guerre froide ou chaude. C'était peut-être au moment où je venais de lire un livre d'un russe exilé (Kravchenko: "J'ai choisi la liberté") qui révélait les goulags du soit disant "paradis soviétique". Ce récit qui devait se révéler vrai grâce à Soljenitsyne était traité comme mensonger par les communistes de l'époque. Et pourtant des grands intellectuels comme J.P. Sartre soutenaient les Soviétiques. Qui croire?
LA GUERRE D'ALGERIE Puis ce fut le tour de notre génération d'être appelé dans les "opérations de maintien de l'ordre" en Algérie qui furent reconnues ensuite comme une guerre. Sans enthousiasme, nous fûmes contraints d'y aller. Cependant pour la plupart d'entre nous l'Algérie était française comme nous l'avions appris à l'école : trois départements (puis neuf) bien français, cela justifiait le maintien de l'ordre. Mobilisé comme médecin et au service d'un dispensaire auprès des populations civiles autant qu'auprès des unités militaires, je n'ai pas eu à connaître, comme d'autres, d'exactions de la part de notre armée. Les officiers affectés à l'administration (SAS) faisaient du bon travail dans l'enthousiasme pour améliorer la vie des Algériens autochtones et essayer en vain de rattraper le retard pris par la République dans les différents domaines, scolarisation, équipements, santé … Cependant il m'apparut au bout de quelques mois que notre action sanitaire était incomplète et ambiguë, détournée comme un élément de propagande plus que comme une action humanitaire.
Tout n'était pas noir dans cette guerre : la fraternité d'armes nous soudait. Je voudrais témoigner de mon estime pour l'armée de métier. Puisque les conflits sont parfois inéluctables, le maintien de la paix, la protection du territoire et les interventions extérieures nécessaires contre des tyrans ou des injustices nécessitent une armée. L'Armée comme la Police m'ont apparu comme des institutions indispensables pour la défense des populations et de la justice. Les militaires de carrière que j'ai côtoyés avaient du métier, du courage et de la noblesse, un savoir faire au combat, de l'efficacité, sans chercher les risques inutiles.
Cette guerre inutile était-elle évitable? , probablement non puisque ce sont les enchaînements de l'Histoire qui nous y ont conduit: le refus obstiné des justes revendications des Algériens. Les Pieds–noirs comme les Français métropolitains se sont laissé prendre dans le piège légaliste des droits acquis et d'une Histoire racontée à l'avantage de la France, les Nationalistes Algériens ont rêvé d'une indépendance légitime, mais qui ne semble pas encore, 40 ans après, conforme au rêve. La paix civile n'est pas acquise en Algérie. Les Harkis ont été injustement traités et souffrent encore, ils sont les grands perdants de cette guerre.
Que conclure?, évidemment "Plus jamais la guerre! "
Cependant à la lecture de l'Histoire et de toutes ces successions de guerres, je me suis longtemps demandé si l'état normal des peuples était la paix ou la guerre, tout en restant pacifiste ! Les 60 ans de paix relative que l'Europe vient de vivre m'ont fait reprendre espoir. Pas tout à fait la paix cependant puisque notre Monde qui reste injuste et instable est émaillé de conflits guerriers et d'actes terroristes qui n'ont pas de frontière. De nouvelles idéologies s'affrontent. Le terrorisme paraît être une nouvelle forme de la guerre, violence aveugle mais organisée, non plus en corps de bataille mais en lutte souterraine visant indifféremment civils ou "uniformes". Mais les guerres quelconques ont-elles un jour respecté les civils?
Ce que j'ai ressenti en évoquant ces souvenirs c'est l'influence de la désinformation, de l'ignorance, de la propagande, du mensonge pour entraîner l'adhésion des peuples à la guerre. Combien les guerres sont le fruit d'une haine orchestrée! Ce qui me choque tout autant c'est l'utilisation du mensonge par des soit disant pacifistes. C'est l'illustration de la parole de l'Evangile : " Si quelqu'un traite ton frère de "raca" (fou)… ou lui dit "sois maudit", il mérite l'enfer." -Mt 5, 22 - . Tous les péchés sont liés entre eux vol, mensonge, culte de l'argent, domination… Pour aboutir aux conflits guerriers.
Je souhaite à Souffle et Chemins de contribuer à l'apaisement et au pardon. "Heureux les artisans de Paix, ils seront appelés enfants de Dieu"
Jacques Puybaret Note : * la Grosse Bertha" est le nom qu'ont donné les Parisiens au canon allemand qui a bombardé Paris en 1918.
P.S. J'ai découvert cet été en visitant Figeac un monument aux morts de la guerre de 1870 à la gloire du deuxième régiment de tirailleurs Algériens.
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