|
Devoir de mémoire |
par Andras Kutasi
J’ai un ami qui
a vécu quelques semaines invraisemblables. Il a subi une
petite attaque dont il est sorti indemne, sauf pendant cette courte
période où il est devenu amnésique. C’était
la plus rude épreuve de sa vie, ne sachant plus ce qu’il
avait fait hier, ni le nom de ceux qui étaient ‘proches’,
sa vie est devenue comme un bateau ivre sans boussole ni gouvernail….
Il est guéri depuis, car il a recouvert la mémoire –
ce qui constituait sa vie, son identité, les fibres de sa
personnalité….
L’un de mes prédécesseurs,
jeune pasteur d’origine allemande fut très sévèrement
réprimandé par son conseil d’église, car il
n’avait pas voulu ‘célébrer’ le 11 novembre, car
pour lui c’était une autre histoire, une autre mémoire,
marquée par la défaite et le deuil…. Le vaincu et le
vainqueur peuvent –ils se retrouver ensemble pour se souvenir de
l’armistice ? – Même si l’histoire nous parle des
guerres ou il y a vainqueurs et vaincus, cette histoire n’est
jamais vraie sans y inclure l’être,
le soldat, l’homme le frère, le père, le grand père
ou arrière grand père…. C’est aussi une histoire
familiale. Moi aussi, je viens du côté des vaincus… et je ne changerai pas l’histoire, le vécu comme un drame. Mon père avait trois ans, lorsque le traité de Versailles a déchiqueté la Hongrie. Deux tiers de son territoire furent détachés pour créer des nouveaux états qui n’existent plus depuis, comme la Tchèquo-Slovaquie et la Yougoslavie. Mon père est né en Transylvanie, région qui composait alors un tiers de la Hongrie et fut détaché pour créer la Roumanie dont elle représente presque la moitié du territoire…et la plus grande minorité de l’Europe. Mon grand père a disparu au cours de ces fameux jours, où leur village fut envahi et la population partiellement décimée, chassée et poussée par de nouveaux propriétaires, à fuir. Il a fallu attendre plusieurs décennies pour reconstruire une partie de sa famille, il ne retrouva qu’un seul frère en Hongrie, un autre en Yougoslavie…il n’a jamais pu retrouver les trois autres.
Et on apprend avec l’histoire de la
famille, qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire sur son
propre vécu, et ce n’est pas parce que cela ne concerne plus
la génération suivante, mais parce qu’elle est
indicible….. Ce n’est qu’en découvrant Verdun, avec ces innombrables croix, silencieux d’une indicible histoire qui couvre comme un ombre, comme un chape de plombe tant d’histoire d’homme et de femmes, de familles …. Que j’ai appris que veut dire empathie, et aussi la volonté de « jamais plus ça »…. Alors, notre mémoire nous pousse à œuvrer pour plus de justice, plus de paix avec autrui. |
Suivant > |
---|